David Teboul

L’Aube, David Teboul : panthéonisation de Simone Veil, Panthéon

L'Aube, David Teboul, Panthéonisation de Simone Veil, Panthéon, Paris, 2018 © Martin Argyroglo
L'Aube, David Teboul, Panthéonisation de Simone Veil, Panthéon, Paris, 2018 © Martin Argyroglo

L’AUBE,
OEUVRE SONORE ET VISUELLE EN CINQ TABLEAUX

J’ai dix ans, la première fois que je vois Simone Veil. C’est à la télévision un mardi soir, dans l’émission «Les Dossiers de l’écran» consacrée à la déportation.
Le mardi soir était un soir particulier, un soir où j’avais l’autorisation de regarder la télévision car le mercredi était un jour sans école. Ce soir là j’avais le choix entre King Kong et le dernier épisode de la série américaine Holocauste. Je suis frappé par son chignon, par sa beauté et par la profondeur de son regard. C’était à la fin des années 70.
Des années plus tard, en 2003, j’ai presque trente ans, je décide de réaliser un film pour la rencontrer. Je suis encore dans le souvenir de cette émotion-là. J’appelle sa secrétaire. La réponse est définitive : « – Madame Simone Veil ne souhaite pas participer à un film sur sa personne.» Je rappelle une dernière fois : « Je ne comprends pas pourquoi madame Simone Veil ne veut même pas me rencontrer, ne donne pas une chance à ce désir de la voir et l’entendre. » À ce moment là Simone Veil se saisit rageusement du téléphone : « – Vraiment vous voulez me voir ? Soyez demain matin à 8h et demi à mon bureau. Je vous préviens, c’est non, je ne vous recevrai pas plus de dix minutes. Et soyez à l’heure s’il vous plaît ! »
Le lendemain, j’y suis, elle en retard, je m’en réjouis. La balle est dans mon camp et je me persuade qu’elle va accepter de faire le film. Elle acceptera mais pas pour les raisons que j’imagine.
Elle me regarde, troublée. Je me tais. Elle me demande : « – qu’est-ce qui vous intéresse chez moi ? » Je lui réponds : « – votre chignon, madame ». Je la sens ébranlée. Elle me raconte alors qu’aucune femme dans son convoi n’avait été rasée, qu’elle n’en a jamais su la raison et que cela lui avait sauvé la vie. Sans le savoir, en lui parlant de son chignon, j’avais touché un point essentiel de son expérience concentrationnaire. Ce premier récit entraîna tous les autres, nous plaçant d’emblée dans la dimension intime qui est celle du film et de l’amitié qui s’en suivit, et aujourd’hui, dans l’installation que je propose pour son entrée au Panthéon.

J’avais fait la promesse à Simone Veil de revenir un jour sur nos heures de tournage composées à la fois d’entretiens mais aussi de nombreux moments de sa vie quotidienne, et tout particulièrement chez son coiffeur autour de la question des cheveux et de la survivance.
J’avais aussi fait ce voyage, douloureux pour Simone, à Auschwitz. Ce fut bouleversant pour elle.
Elle y était bien sûr revenue pour des commémorations, mais elle n’avait jamais souhaité revisiter les baraquements de Birkenau où elle avait séjourné pendant quelques mois. Elle m’avait alors raconté, à l’intérieur des baraques, le quotidien de leur vie à toutes les trois, Simone, sa mère Yvonne et sa soeur Madeleine.

Cette promesse de revenir sur ces images, je ne l’avais pas encore tenue, je la réalise aujourd’hui. Cette fois-ci, il ne s’agit pas d’images mais de son. L’installation que je propose est la suivante :
J’ai voulu que Simone Veil soit accompagnée par ses camarades du convoi 71. Le convoi 71 est parti le 13 avril 1944 à destination d’Auschwitz. Les internés ont été transférés dans le camp de Drancy et ont été déportés via la gare de Bobigny.
Le convoi était composé de 1500 internés, dont 850 femmes, 624 hommes et 22 personnes dont on n’a jamais su l’identité. Parmi eux, 148 enfants de moins de 10 ans et 34 enfants raflés à la Maison d’Izieu.
Cette installation est un hommage à la fois au parcours de Simone Veil et à la survivante d’Auschwitz. J’ai aussi voulu distinguer la mémoire de la déportation raciale de celle de la résistance. Les résistants sont des acteurs de la Libération de la France, des figures héroïques. Les déportés raciaux, dont les juifs et les tziganes, dont faisaient parti Simone Veil, sa mère, sa soeur, son père et son frère et nombre de ses proches qui ne s’étaient pas engagés dans un combat pour la liberté de la France. Ils étaient simplement juifs comme ces millions d’hommes, de femmes et d’enfants gazés à Auschwitz. Cette installation est un hommage à ces millions de morts.
L’Aube accompagne l’entrée de Simone Veil et de son époux dans la crypte du Panthéon.

– L’Aube, oeuvre sonore et visuelle en cinq tableaux.
– Le Kaddish sera dit sur ma tombe, texte et voix de Simone Veil.
– Minute de silence, l’Aube à Birkenau, 17 juin 2018, 5h du matin.
– Les arbres à Birkenau, installation de deux oeuvres dans le Panthéon.
– Simone Veil se confie, installation sonore dans le Panthéon, durée 9h.
– Une nuit à Birkenau, installation sonore dans le Panthéon, durée 6h.

David Teboul, cinéaste et vidéaste et documentariste.